Caen ça veut pas ça veut pas...
C'est l'histoire d'une course qui part bien. Plutôt très bien même ! A mi-course nous sommes encore au contact avec les premiers bateaux. Et puis cela se dégrade, nous faisons quelques erreurs, les problèmes arrivent, et d'autres encore. Puis le sort s'acharne, et à la fin c'est le scénario catastrophe ! Je vous laisse découvrir le détail ci-dessous, mais sachez que c'est une tragédie (en 3 actes), et qu'à la fin, comme toute tragédie, cela se termine très mal !
Un début de course encourageant
Un départ très correct en haut de la ligne malgré des soucis techniques avant le départ (comme quoi la course aura été compliquée dès le début)
En hissant la grand-voile à la sortie du port le taquet qui sert à bloquer la drisse lâche et nous ne pouvons bloquer la grand voile en position haute. Nous passons plusieurs dizaines de minutes à réparer et arrivons en retard sur la zone de départ de course. Tout juste à temps pour repérer la position des bouées de départ et du parcours en baie. Mais nous faisons un parcours honorable (7e à la première marque de parcours) si bien que lorsque nous mettons le cap vers l'Angleterre nous sommes bien au chaud dans le peloton avec nos concurrents !
En route pour l'Angleterre ! La mer a commencé à se former, nous sommes au près. J'ai beaucoup souffert du mal de mer ce qui se voit un peu sur la photo :)
La traversée de la Manche est 'express'. Le vent adonne et nous nous retrouvons travers au vent. Le bateau marche à environ 16 noeuds de vitesse moyenne dans 25 noeuds de vent. Le sillage se tend sur plusieurs dizaines de mètres et sous le vent du bateau c'est une gerbe d'eau constante qui vient se fracasser sur le rouf du cockpit. Le bateau fait du saute-moutons dans les vagues. L'ambiance est mouvementée et franchement très humide. Je commence à être sacrément malade et n'arrive pas à m'alimenter. Tout ce qui entre finit tôt ou tard par sortir !
Ambiance tonique à bord d'HappyVore !
Le bateau va vite mais n'a pas spécialement été dessiné pour ces conditions. Face à nos concurrents nous perdons logiquement un peu de terrain mais nous revenons fort sur la tete de course à la tombée de la nuit vers l'ile de Wight. Nous passons la nuit à régater au contact de nos concurrents, dans les petis airs, à jouer avec les courants et contre-courants des eaux troubles du Solent. Une lutte honorable, puisqu'à la sortie du Solent nous sommes aux avant-postes en 7e position. Et vu la qualité du plateau je peux vous dire qu'on est contents d'être là avec Rémi !
Avec les premiers bateaux à la sortie du Solent, c'était franchement pas si mal !
Nous faisons route pour Lands End au près. Le vent se renforce et nous tenons bon. Le vent bascule légèrement et nous nous retrouvons au reaching dans du vent fort, à nouveau sur le point dur du bateau. Nous perdons un peu de terrain sur les premiers qui bénéficient en plus d'un timing de renverse de courant favorable. Mon mal de mer, qui s'était provisoirement calmé autour de Wight reprend le dessus. Nous enroulons la pointe de Lands End pour remonter vers l'Irlande, au portant dans du vent de Sud-Ouest qui précède le passage de la dépression.
15 noeuds de vitesse dans 20-22 noeuds de vent, jusque là tout allait bien !
Moi qui croyais qu'en passant au portant tout irait mieux, et bien pas du tout ! Les conditions sont relativement maniables au début, mais rapidement la mer se creuse sous l'effet d'une grosse dépression au large de l'Irlande, et le vent forcit encore. Avec Rémi on se retrouve en mode rodéo à faire des surfs à plus de 20 noeuds dans les vagues. Le record de vitesse du bateau est porté à 24 noeuds cette nuit là !
Le train des vagues sur le pont est très violent. Pour nous protéger nous amarrons le gennaker au vent, en avant du cockpit, pour faire "brise-lame". Mais la sangle qui le retient lâche... Je me retrouve avec la barre dans une main, le gennaker dans l'autre à ne pas pouvoir le ramener à bord. J'ai été obligé d'appeler Rémi, qui essayait de dormir à l'intérieur, au secours. Quelle aventure !
Impossible de prendre soin de soi dans ces conditions. Chaque déplacement à bord est compliqué. Dans un planté de vague je perds l'équilibre à l'interieur et me cogne le dos contre une varangue. Je la sens encore quelques jours après ! Se faire à manger dans ces conditions est très périlleux. A ce stade de la course, nous étions partis depuis 48h et je n'avais toujours rien pu digérer.
Pour parler franchement, c'est à peu près à ce moment là que tout a commencé à partir en sucette ! La suite est un peu une tragédie en 3 actes. D'abord des erreurs d'inattention, ensuite des problèmes techniques, et enfin le sort qui s'acharne !
Alors oui, "Le public a droit à une belle histoire" (Les Poupées Russes), mais ça ne sera pas pour cette fois désolé !
Acte I : Course en vrac
"Vrac", "Départ à l'abattée", "Empannage chinois", "Tranche", on appelle ça comme on veut, mais ça fait mal !
Environ 20 milles avant Tuskar, dans 25-30 noeuds de vent, lors d'un changement de quart, je prends la relève de Rémi. Alors que j'en suis toujours à prendre mes repères, je n'arrive pas à repousser la barre pour relancer le bateau en fin de surf. Le stick se replie et le bateau empanne ! Les voiles se gonflent contre le gréement, et le bateau se couche à 90°, avec tous les ballasts remplis du mauvais côté qui l'empêchent de se redresser. C'est ce qu'on appelle un vrac en bonne et dûe forme !
Nous mettons quelques minutes à reprendre notre route (car mine de rien il faut choquer les voiles, rabaisser le deuxième safran et bien penser à reprendre la bastaque molle avant de choquer l'autre). Pendant ce temps le spi de 140m2 bat allègrement en drapeau dans 25 noeuds de vent si bien qu'il finit par se déchirer. Nous empannons ensuite sous grand voile seule, à faible vitesse, ce qui aura pour conséquence la casse d'une latte de la grand voile dans la violence de l'empannage. Nous devons donc ensuite affaler la grand voile - toujours dans 25 noeuds - et retirer la latte pour ne pas qu'elle déchire la voile. Bilan des courses : nous perdons une dizaine de milles et un spi. Sans compter que nous sommes handicapés pour le reste de la course car la Grand Voile n'aura plus la même forme sans la latte. Et tout ça pour un moment d'inattention à la barre !
Le phare de Tuskar, que nous aurons bien mérité !
Acte II : Coupure de courant
Et nos démons de la Jacques Vabre resurgissèrent... Alors que nous sommes à l'approche de Lands End sur la route retour vers Caen, je démarre le moteur pour recharcher les batteries du bateau. Je constate que l'alternateur branché au moteur ne génère pas de courant vers les batteries. J'ai beau vérifier les branchements, mettre la manette des gaz au maximum, rien n'y fait. Impossible de recharger !
La situation est donc comliquée car les batteries sont déjà très déchargées, notre seule autre source d'énergie est nos panneaux solaires et il fait déjà nuit. Nous sommes contraints de faire une bonne partie de la nuit en "black-out", les batteries coupées. Dès lors, plus d'instruments, plus de pilote automatique, plus de lumières, plus d'AIS (radar anti-collision), plus de routages possibles : il faut tout faire à l'ancienne et barrer sans cesse ! Pour ne pas nous échouer à Lands End nous rallumons le GPS toutes les heures environ pour prendre une position et nous assurer de ne rentrer ni dans l'Angleterre ni dans la zone interdite réservée aux cargos. Logiquement il faudrait aller tirer des bords au plus près de la côte, mais ne pouvons pas y aller sans électronique. Nous perdons le contact avec Le Gallais et nous nous faisons rattraper par nos poursuivants. Nous aurions préféré couper le courant anglais plutot que celui de nos batteries !
Le jour se lève enfin et nos panneaux nous permettent de recharger à peu près nos batteries. Mais il faut économiser au maximum l'énergie pour pouvoir tenir toute la nuit suivante. Toujours pas de pilote donc, ni d'ordinateur et de routages mais nous pouvons au moins avoir les instruments (direction du vent, vitesse) qui nous permettent de mieux barrer le bateau. Nous ne lâchons rien et barrons en continu le bateau malgré les conditions ventées et agitées. Et notre combat est très honorable, car à l'arrivée en Bretagne nous tenons bon notre 11e position au classement !
Acte III : Caen ça veut pas, ça veut pas !
Dans le contournement du Cotentin, tout ce que nous avons réussi était se faire rattraper par nos poursuivants
C'était sans compter un acharnement du sort contre nous. Comme à Lands End, notre électronique ne nous permet pas d'aller jouer comme nos concurrents dans les cailloux pour lutter efficacement contre le courant. Nous perdons des longueurs précieuses et buttons contre le courant au cap de la Hague.
Derrière nous, les concurrents bénéficient d'un timing de courant avantageux (ils souffrent du courant contraire dans des zones où il y en a moins) et surtout ils ramènent avec eux un vent plus fort qui les fait galoper en ligne droite là où nous devons tirer des bords dans du vent faible !
Arrivés en baie de Seine, nous nous retrouvons au contact avec 8 bateaux qui accusaient plusieurs dizaines de milles de retard quelques heures plus tôt. Puis ils nous doublent en nous contournant soit par la droite, soit par la gauche. De la 12e place, nous nous retrouvons 20e en quelques minutes.
Un bateau nous dépasse même quelques dizaines de mètres sous le vent. Je bous ! Comment est-ce possible ? Je fonce à l'interieur récupérer mon masque de plongée, je me déshabille et plonge à l'eau inspecter la quille. Moi qui ne me baigne jamais... Je ne suis qu'à moitié surpris lorsque je vois le tas d'algues énorme sur le voile de quille, qui ralentit le bateau. Je parviens à les dégager et remonte à bord. Peu après le vent rentre et nous redoublons le bateau qui nous avait insolemment doublés sous notre vent ! Il n'y a pas de petite victoire...
Trop c'est trop ! Non content de nous avoir repris 70 milles en quelques heures, Mike Golding (4 participations du Vendée Globe, tout de même !) nous double sous notre vent. Je plonge immédiatement sous le bateau pour dégager le tas d'algues dans la quille
Les dernières minutes de la course sont intenses. Nous coupons la ligne d'arrivée 10s et 3s derrière les bateaux devant nous et 2 minutes avant le bateau derrière nous. Le résultat sportif est très décevant (18e) et ne vient pas récompenser ni notre début de course, ni notre détermination à finir la course coûte que coûte là où beaucoup d'autres auraient abandonné.
Nous seront 3 bateaux à finir en 10 secondes ! Manque de chance, nous serons le dernier des 3 !
Vite passer à autre chose
Il faut croire que la Normandy Channel Race ne veut pas de moi... Il y a 2 ans, nous avions passé le phare de Tuskar en tête de la course avec Stan Thuret, mais une vilaine tempête nous avait forcés à faire escale en Angleterre au retour et nous avions dégringolé à la 11e place après 2 nuits passées au port.
Vous l'aurez compris, cette édition a aussi été très compliquée. A vrai dire, c'était la pire course de ma vie, et de loin ! J'ai honte de mon résultat (mon pire classement depuis mes débuts en Mini en 2014, ça fait tâche) mais je suis cela dit très fier d'avoir tenu bon et résisté à l'envie d'abandonner la course suite à nos problèmes d'énergie. C'est des points de mental en plus pour les prochaines courses !
Je tiens à remercier Rémi qui a été au top, comme toujours, avec qui nous avons malgré tout bien rigolé. J'ai encore appris pleins de choses qui me serviront pour la Route du Rhum, qui reste le grand objectif de la saison !
A très vite,
Nico