Jusqu'ici (presque) rien ne va bien...
... mais il faut quand même se relever et aller de l'avant !
Un départ un peu trop spectaculaire
En raison des conditions trop musclées, l’organisation de course a renoncé au dernier moment à envoyer la flotte des IMOCA en mer, alors que les équipes s’apprêtaient à quitter le ponton. Puis une fois sur l’eau, en raison de ces mêmes conditions météo le comité de course a décidé de supprimer la bouée de dégagement “spectacle” devant le Havre pour les 2 classes de multicoques (Ocean Fifty & Ultims). Une marque jugée trop dangereuse car les bateaux allaient arriver très vite et faire demi-tour autour de la bouée, le tout dans 35 nœuds de vent et une mer hachée. C’est à se demander pourquoi cette même marque a été maintenue pour les Class40, mais ce fut une décision du comité qu’il a bien fallu respecter.
Nous prenons donc un superbe départ avec Léo et pendant le premier bord très très engagé, où le bateau frise les 20 nœuds de vitesse, nous nous hissons en tête de flotte. A l’approche de la bouée nous sommes en 6e position.
Au passage de la bouée, tout est allé très vite. Un bateau arrivant de derrière s’est glissé entre nous et la bouée, ce qui nous a empêchés de virer de bord. Nous nous sommes retrouvés coincés face au vent et un bateau nous rattrapant nous est rentré dedans à pleine vitesse.
Le choc a été d’une violence inouïe. Et en un instant, tout a basculé. Nous nous retrouvons avec un énorme trou dans le bateau (lui aussi), avec tout un bout du pont manquant, arraché sous la tension du point d’écoute de la voile d’avant.
Nous rentrons immédiatement au port pour procéder à un diagnostic. Au ponton, plusieurs visages connus nous donnent un coup de main. Merci à la petite Nono et Axel (team Lazare), Pierre & Philippe (team Legallais), Jo (team Crosscall), Victor, Enguerrand, Colombine et les autres. Voir des visages connus sur un ponton où vous n’aviez pas imaginé un seul instant venir faire escale, cela réconforte.
Par chance, Xavier (dirigeant du chantier GL Composites) qui a construit une partie du bateau, est sur place. Par un rapide diagnostic il nous confirme que le trou est dans le ballast arrière (réservoir d’eau de mer étanche de 200L), donc il n’y a pas de voie d’eau dans le reste du bateau. Les câbles qui tiennent le mât ne sont pas accrochés à proximité du trou, le système de barre n’est pas touché… Il est envisageable de reprendre la mer immédiatement, ce que nous confirment les architectes joints au téléphone.
Trois raisons nous poussent à repartir en mer malgré les conditions musclées annoncées : 1) l’étape arrive à la maison, où nous aurons plus de moyens pour réparer, 2) parce que nous voulons rester en course et 3) parce que les conditions se gâtaient les jours prochains, et que c’était un peu “maintenant ou dans 1 semaine”. Alors bien qu’un peu sonnés, nous repartons environ 60 minutes après notre arrivée au ponton.
Une superbe “remontada” sur le chemin vers la maison
C’est probablement la seule chose qui s’est bien passée depuis dimanche : nous avons super bien navigué, malgré un bateau amoché et un ballast rempli d’eau.
Partis bons derniers du Havre, nous avons remonté la moitié de la flotte en quelques heures. Au bout de 36h de navigation musclées et franchement pas toujours agréables🤮 (mention spéciale pour le passage du Cap de la Hague avec 6 nœuds de courant et contre 35 nœuds de vent), nous bouclons la première étape classés, en 18e position, à seulement 2h30 du premier bateau (Ambrogio, comme souvent). On était bien soulagés de ne pas être si loin que ça des premiers finalement !
A quoi ressemble la suite
A peine arrivés, il nous nous sommes organisés pour attaquer les réparations, sachant que la direction de course envisage de nous faire partir dès lundi. Nous avons donc démonté le mât du bateau pour pouvoir le placer dans un ponton à l’abri de la pluie et du vent. Ainsi, nous pourrons procéder aux réparations à flot, à l’abri de la pluie et du vent. La priorité est de refermer la coque pour la rendre étanche. A l’heure où je vous écris, les travaux sont en cours et on fait le maximum pour remettre le bateau à l’eau dimanche. Il n’est pas dit qu’on puisse utiliser le ballast au terme des réparations, ce qui serait un léger handicap pour la course, mais au regard du reste, on est prêts à faire cette concession.

En parallèle nous travaillons aussi sur d’autres petits dégâts occasionnés pendant la course : ralingue de Grand-Voile abimée, fuite d’huile sur le moteur, capteur aérien en tête de mât HS… Mais c’est sous contrôle. Les compétences de Léo, à qui cela ne fait pas peur de découper un bateau après une navigation ultra engagée et seulement 4h de sommeil dans son camion sur le parking, nous sont d’une grande aide.
Décision sévère du Jury (et franchement peu compréhensible)
Le moral allait à peu près - jusqu’à ce que le jury rende son délibéré hier soir vers minuit sur l’abordage à la bouée de dégagement.
Le jury a jugé qu’environ 3 secondes avant la collision, mon bateau est passé de “tribord” (reçoit le vent de la droite) à “bâbord” (reçoit le vent de la gauche). Cela se joue à 5° près mais c’est bien ce qui a été décidé. J’ai perdu la priorité sur le bateau qui nous arrivait dessus à 15 nœuds 3 secondes avant l’abordage.
Il a aussi considéré que le bateau qui nous a percuté avait tout fait pour éviter la collision - une décision purement incompréhensible que je conteste vivement. Il y avait toute la place du monde pour tourner à gauche et abattre sous le vent, mais il a foncé dans le tas à pleine vitesse sans changer son cap, avec tous les voyants au rouge (car jusqu’à 3 secondes avant l’abordage nous étions prioritaires). Seulement, son feu est passé au vert 3 secondes avant la collision - ce qu’il ne pouvait pas savoir avec certitude au moment des faits. Rappelons que le jury a dû examiner 4 vidéos différentes pendant 90 minutes, a posteriori, pour pouvoir décider qui était prioritaire au moment de la collision.
Le résultat est donc que nous sommes jugés comme SEULS responsables de l’incident. Nous écopons donc d’une pénalité de 12 heures (soit une majoration de plus de 30% sur notre temps de course). De 18e nous passons … derniers, à plus de 14h du premier. C’est un retard énorme, qui nous met hors-jeu pour le classement général de la Transat Jacques Vabre.
L’autre bateau, qui lui a dû abandonner au Havre, va lui recevoir une bonification et réintégrer le classement de la 1ère étape. Si la collision avait eu lieu 3 secondes avant c’aurait été l’inverse. Nous aurions été bonifiés, et lui, mis en cause. En résumé, je suis prêt à accepter mon erreur, mais au fond de moi je trouve qu’il s’en sort très (trop?) bien.
Repartir de l’avant malgré tout
Cette décision m’a écœuré et j’ai très peu dormi cette nuit. Peut-être que cela se ressent à la lecture de cette newsletter dont le ton ne ressemble pas beaucoup aux autres. Je crois qu’il fallait que ça sorte.
Les décisions d’un jury international sont sans appel, je n’ai pas de levier d’action qui pourrait marcher avant le départ de la 2e étape - je me force donc à mettre tout cela de côté. C’est très injuste, c’est parfois la réalité dans le sport de haut niveau et il faut savoir l’accepter.
Mon bateau, Léo, et moi, je sais ce que nous valons. La meilleure réponse est celle que nous formulerons sur l’eau, lors de la 2e étape, la vraie transatlantique. Il va falloir s’arracher pour remettre le bateau en état, mais on est 100% mobilisés en ce sens avec Léo. Notre Transat Jacques Vabre ne va pas s’arrêter ici. On veut que cela se termine dans la joie, aux Antilles, dans la fierté d’avoir fait une belle transatlantique et mis le plus de concurrents possibles derrière.
Je me raccroche aussi à ce qui m’a donné beaucoup de force pendant la Route du Rhum. C’est quelque chose que nous partageons tous : la mission des Café Joyeux. Eux déplacent des montagnes au quotidien, si nous baissons les bras dans les épreuves difficiles, comment pouvons nous porter leurs couleurs ?
Je vous laisse, je crois vous écrire m’a donné beaucoup d’énergie. Je file rejoindre Léo qui s’affaire depuis tôt ce matin sur le bateau avec notre équipe de réparateurs/commandos.
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Merci pour tous vos messages de soutien, de coups de main, d’idées, de solutions, cela fait chaud au cœur !
A bientôt,
Nico
PS : Victoire, qui est complètement coupée du monde et n’a aucune idée de nos péripéties, est en train de faire un super début de 2e étape.
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