Route du Café : mission accomplie !
Je vous raconte ma première transatlantique en IMOCA !⤵️
La dernière fois que je vous ai écrit, c’était depuis Le Havre – il y a un océan et quinze jours de cela. Je veux d’abord rassurer tout le monde : Simon et moi sommes bien arrivés à Fort-de-France ! En un seul morceau, avec un bateau en super état. Nous finissons 13ᵉ sur 18 concurrents, avec tous les autres bateaux à dérives (et même un foiler) derrière nous. Bref, c’est mission accomplie !
Tempête de joie à Fort de France
Ceux qui me connaissent intimement savent que, chez moi, nul plaisir n’égale celui de boire de l’eau de coco directement depuis une noix de coco. Alors quand on m’a tendu une noix toute fraîche à l’arrivée du ponton, j’avoue avoir immédiatement brisé le deuxième accord toltèque : j’ai pris ce geste personnellement (pour mon plus grand bonheur). Jusqu’à ce que je voie Simon recevoir la sienne. Ce n’était donc pas une attention spéciale, mais tout simplement le protocole d’accueil de la Transat Café L’Or. Après tout, il y a deux ans, j’avais aussi eu droit à ma noix de coco.
Quand j’ai levé les yeux de ma noix de coco, j’ai découvert une foule immense sur le ponton. Et comme j’apprends – parfois – de mes erreurs, ma première réaction a été, cette fois de ne pas le prendre personnellement. Je me suis dit que tous les participants avaient droit au même comité d’accueil. Mais pas du tout ! L’organisation m’a confié que c’était l’un des – si ce n’est LE – plus gros accueils depuis le début des arrivées. Cela m’a rempli de joie et donné le sourire jusqu’aux oreilles. Quel bonheur d’être l’ambassadeur d’un projet aussi universel !





Parmi la foule, je distingue des visages que j’attendais : l’équipe, les photographes de l’organisation, mon entraineur et concurrent Tanguy Leglatin arrivé quelques heures plus tôt (qui, malgré l’heure avancée, marchait encore parfaitement droit). D’autres visages n’avaient rien à faire là : de vieux amis venus qui par hasard étaient en Martinique ainsi que Claire & Lorraine, de Café Joyeux venues me faire la surprise, ce qui m’a beaucoup touché.

Cette belle soirée s’est prolongée en nuit festive et s’est terminée au bord d’une piscine, à quatre : Simon, Tanguy Leglatin, moi… et une très bonne bouteille de rhum. Notre véritable exploit n’a finalement pas été de traverser l’Atlantique, mais de réussir à coucher l’ensemble de nos deux équipes.
Et, à une heure avancée où le soleil aurait presque pu se lever, nous avons tous les trois été rattrapés par notre fatigue accumulée. Nous avons sombré pour la première fois dans un long sommeil qui ne serait interrompu ni par un réveil, ni par une alarme, ni par une manœuvre, ni par un grand coup de gîte.
Un début tonique !
Je m’aperçois que j’ai commencé par la fin. Rembobinons.
Cette belle aventure avait débuté au Havre, déjà portée par une marée de joyeux supporters. Le bassin Paul Vatine a débordé de joie pendant toute la période d’accueil, jusqu’au jour du départ, où Simon et moi avons vraiment été portés par l’énergie des supporters joyeux. Café Joyeux avait même affrété un bus spécial depuis Paris, rempli de collaborateurs venus spécialement nous encourager. Dans le froid d’un dimanche normand de (presque) novembre, il faisait déjà presque aussi chaud qu’aux Antilles.



Le matin du départ, nous avons appris que trois Ocean Fifty — partis la veille pour tenter d’échapper au pire de la météo — avaient chaviré, et que les six skippers avaient été hélitreuillés. De notre côté, les premières heures de course s’annonçaient extrêmement toniques : plus de 30 nœuds de vent et une mer forte. (Autrement dit : les Ocean Fifty n’avaient pas avancé leur départ pour rien.) Bref, malgré toute l’énergie transmise par nos supporters, nous avions le cœur bien lourd en quittant le ponton.
Ces conditions, nous ne les avions jamais rencontrées à bord de ce bateau avec Simon. Nous avons donc opté pour une trajectoire simple, en évitant les manœuvres au milieu de la Manche, là où le vent et la mer étaient les plus violents. Nous avons préféré virer et faire nos matossages et les prises de ris devant les plages normandes puis les côtes anglaises, dans des conditions simplement « moins pires ». Le reste du temps, nous avons fait le dos rond : patienter dans un endroit à peu près supportable et espérer très fort que tout se passe bien.
Je me suis surpris à dresser mentalement la liste des choses qui, si elles lâchaient, feraient dégénérer la situation en quelques secondes : panne d’aérien, casse du système de barre, J3 qui se déchire, J2 qui se déroule, amure ou hook qui saute, poche d’eau dans les ris de grand-voile, cloison structurelle qui s’arrache… En réalité, ces bateaux sont tellement complexes qu’il ne faut pas tomber dans ce piège mental. D’ailleurs, on ne pense pas à tout ça quand on conduit une voiture sur l’autoroute, alors que les risques existent tout autant. Il faut lâcher prise — mais que c’est difficile !
N’ayant pas beaucoup navigué ces douze derniers mois, j’étais très peu amariné. Et malgré les comprimés anti-mal de mer, j’ai été malade jusqu’à la pointe Bretagne. La seule consolation, c’était de savoir que ça ne durerait pas… et d’apprendre que Simon l’était aussi. Au moins, cela prouvait que les conditions méritaient vraiment qu’on ne se sente pas bien.
A la pointe bretonne puis dans le Golfe de Gascogne nous avons trouvé un peu de répit, avec 2 jours sans trop de vent. Le meilleur indicateur ? La faim. Car quand la faim revient après de longues heures à ne pouvoir rien manger, c’est que vous êtes - enfin - sur la pente ascendante.
La longue route vers les Alizés
Cette période plus calme fut l’occasion de faire un point sur la stratégie météo pour la suite du parcours. Malheureusement, les prévisions météo qu’on avait au départ se sont confirmées : les vents portants, ça n’allait pas être pour tout de suite !
Nous nous sommes alors engagés sur le plus long bord de près de notre carrière à Simon et moi : du Cap Finisterre, nous avons fait toute la péninsule ibérique, jusqu’à la latitude de Madère au près, sur le même bord. Il était question qu’un gros front nous passe dessus mais finalement nous avons réussi à nous faufiler suffisamment au Sud pour y échapper. Pendant 3 jours, la vie s’est dont faite penchée à 25° mais dans des conditions civilisées, n’ayant rien à voir avec la Manche.
Mine de rien le temps a été un peu long, suffisamment même pour écrire un carnet de bord, qui a été diffusé par Ouest France pendant la course et que vous pouvez retrouver ICI.
Enfin, juste avant les Canaries, nous trouvions ce que nous étions venus chercher : les vents portants des Alizés. Le grand moment tant attendu survînt : celui du hissé de spi ! Cette grande voile de 380m2 en forme de bulle qui permet d’être poussé par le vent.
Nous passons entre les Canaries et le Maroc dans un endroit qu’avec le temps, je commence à bien connaître. Où aller empanner, à quelle heure de la journée, quelle île dévie le vent, le renforce ou le ralentit : mine de rien c’est la 5e fois que je passe par ici ! Ce fut l’un de mes moments préférés de la course. J’avais l’impression de naviguer dans des eaux connues, à plusieurs milliers de kilomètres de la maison.

Le vent c’est quelque chose, mais il faut aussi compter avec tous les pécheurs, surtout là où le fond de la mer remonte, au raz de la côte. Les bascules de vent y sont alléchantes, mais il y a plein d’obstacles sur l’eau (pécheurs) et dans l’eau (filets dérivants, etc) ce qui fait qu’il ne fait pas forcément y aller.
Sans chercher à faire trop compliqué, nous tirons les bons bords et parvenons à creuser l’écart à cette occasion avec notre concurrent direct, Fives-Lantana. Après les Canaries, nous avons pu mettre le clignotant à droite pour faire route vers l’Ouest. Après tout, ce ne sont pas les côtes marocaines qu’on cherchait, mais celles des Antilles !
L’Alizé : un long fleuve pas si tranquille
J’ai beaucoup travaillé mon esprit de synthèse dans ma précédente vie de consultant mais il m’est juste impossible de résumer la traversée de l’océan atlantique en quelques lignes.
Si vous avez le temps, j’ai écrit un deuxième carnet de bord pour Ouest France sur les Alizés, que vous pouvez retrouver ICI.
La traversée, c’était vraiment comme dans un rêve. Le bateau est si rapide ! Un poil instable quand même, il y a eu quelques sorties de routes. C’est incroyable de naviguer sur des machines pareilles. Il faut le vivre pour le croire. Nous avons fait des heures entières à presque 19 nœuds de moyenne à 155° du vent, c’est à dire presque vent arrière ! Alors oui, je sais que les foilers devant étaient parfois 6 nœuds plus rapides, mais nos vitesses sont déjà tellement impressionnantes…
Le vent n’a fait que monter pendant toute la traversée, et mon niveau de confiance dans le bateau (et moi-même) aussi. Au début, j’étais tendu à partir de 15 noeuds de vent sous spi, et à la fin je commencer à stresser à partir de 22 noeuds ! J’ai énormément appris : chaque jour j’emmagasinais de l’expérience. Après tout, cette transatlantique n’était que notre douzième navigation à bord du bateau !
J’ai adoré, vraiment, jusqu’aux 2 derniers jours, où j’ai énormément souffert de la chaleur, du sel et de l’humidité. En fait, la casquette télescopique qui protège le cockpit n’est pas du tout étanche. A chaque vague qui parcourait le pont, une partie de l’eau s’écoulait sur nous alors que nous croyons être à l’abri sous la casquette. Je suis arrivé bien mal en point, avec un corps presque aussi abîmé que lors de mes Mini Transat ! A la fin, dermatologiquement parlant, pour ma part, il était temps d’arriver. J’ai des photos, mais je ne les partage pas :)
Merci Simon !
Notre duo a extrêmement bien fonctionné avec Simon. Franchement, on a beaucoup de chance de l’avoir dans l’équipe du bateau Joyeux ! Nous venons du même moule (Mini série, Mini prototype, Class40) et par ailleurs on réfléchit pas mal de la même façon. On fait tout de façon méthodique mais aussi très naturelle.
Son expérience m’est spécialement utile dans la gestion du côté “gros bateau” de l’IMOCA. Lui a l’habitude de savoir quelle tolérance et quelle intensité mettre dans les changements de voile et les manœuvres. En IMOCA c’est dur d’être toujours avec la bonne voile sur le bon bord. Si vous voulez naviguer parfaitement, soit vous vous épuisez, soit vous usez prématurément le matériel. Savoir quand tolérer l’imperfection, ou faire “simple, et quand investir de l’énergie pour faire une manœuvre est un vrai critère de réussite.
Simon a un tempérament très posé et une communication concise et précise. Il met souvent les bons mots sur les bonnes choses. Certains mots ont quand même un sens caché : quand vous vous levez de votre quart et qu’il vous dit “ah et j’ai ouvert une tablette de chocolat” cela signifie qu’il ne reste que 2 carrés, qui ne seront plus là à votre prochain réveil si vous ne les prenez pas maintenant. Je n’ai d’ailleurs pas ouvert une seule tablette de chocolat de la course, je n’ai fait que finir celles ouvertes par Simon.
Et maintenant ?
On est si bien en Martinique que c’est dur de la quitter. Soleil, baignades, piscine, plages, apéros : toute l’équipe est en tropicalisation aigüe !
Il n’empêche, il faut bien ramener le bateau. Nous partirons pour la transatlantique retour probablement lundi avec Simon, Claire-Vi ainsi que Mathias, que nous embarquons comme moussaillon !
Pour la première fois, je traverserai l’atlantique en convoyage, et non en course. J’ai hâte de pouvoir profiter au maximum d’un tel voyage - jamais anodin - sans la pression d’aller vite, tout le temps. Cela reste une navigation assez engagée (l’Atlantique nord en novembre demeure un terrain de jeu hostile) donc c’est vraiment la sécurité qui primera sur tout le reste.
Une fois arrivés à Lorient, probablement tout début décembre, nous démontrons le mât et la quille du bateau pour le rentrer en hangar avant les fêtes de fin d’année. On réattaquera ensuite directement les travaux de maintenance début janvier. Le bateau sera remis à l’eau probablement fin mars pour mes premiers entrainements en solitaire. Oui, car l’année prochaine il faudra que je vole de mes propres ailes sur ce grand bateau ! On en reparlera car d’ici là il va falloir que je digère un peu ces derniers mois où tout s’est beaucoup enchaîné !
En attendant c’est déjà l’heure de l’apéro de pré-déjeuner. Je rends donc l’antenne et vous dis à très vite :)
A bientôt 💛🍸,
Nico










