Non, Clarisse n'a pas triché
Petit numéro hors série dans la newsletter pour parler d'un sujet d'actualité
Clarisse (Crémer) et son mari Tanguy (Le Turquais) se retrouvent malgré eux à refaire les grands titres des media. Vous êtes sensibles à la voile, à la course au large, à la compétition et vous me connaissez pour suivre mes aventures. Alors je me suis dit que je vous partagerais mon avis sur la question. Attention, il n’engage que moi !
Ce qui est reproché à Clarisse et Tanguy
Peu d’entre vous seront passés à côté de ce qui secoue depuis lundi le milieu de la voile. Clarisse et Tanguy sont soupçonnés d’avoir triché pendant le Vendée Globe 2020/21. Si je résume : Tanguy aurait, depuis la terre, “routé” Clarisse pendant son tour du monde pour l’aider à choisir la route à suivre en fonction des systèmes météo rencontrés.
C’est totalement faux : Clarisse a fait tous ses choix seule et sans assistance, conformément aux règles.
Ce que dit la règle
Le Vendée Globe se présente comme une course en solitaire, sans escale, et sans assistance extérieure (on reparlera de ce dernier point car entre nous, cela frise la publicité mensongère1).
L’avis de course stipule que le routage des bateaux depuis la terre est interdit. Le routage est défini (article 4.3.1) comme “une analyse, une interprétation ou un traitement d’informations ou de données personnalisées, spécialement préparées pour un skipper et permettant la compréhension de la météo et le choix de la route à suivre.”
Une zone grise gigantesque
Cela paraît très précis formalisé ainsi, mais c’est en fait très flou, et surtout, il y a une zone grise énorme autour des termes “analyse” et “interprétation”.
Je vous donne un exemple issu de mon vécu en course : lorsque je réponds à une vacation où l’on me demande “Comment te prépares tu au coup de vent qui t’arrive dessus demain?”, techniquement, le journaliste a réalisé une interprétation de la météo (si basique soit elle) et me livre une analyse. Cela n’en fait pas pour autant une aide à la décision et du routage, et c’est traité comme un non-sujet, à juste titre. Mais d’un point de vue de la règle, c’est déjà “border”, et c’est très courant.
L’avis de course (article 6.4.3) précise qu’il est autorisé de transmettre des informations météo depuis la Terre vers le bateau, tant que les infos transmises sont accessibles publiquement (gratuites ou payantes) et que le fichier n’a pas reçu d’intervention humaine après sa publication par l’organisme fournisseur.
Je prends un autre exemple (fictif, cette fois) pour vous illustrer le vide juridique qui existe aujourd’hui : si une bonne âme envoie depuis la terre la dernière mise à jour d’un modèle de prévision à un skipper (exemple : le modèle “Arome” publié par Météo France), ce n’est pas une violation du règlement car l’information est déjà disponible depuis le bord. Mais est-ce que la personne prendrait le soin de l’envoyer, si d’après elle, elle n’apportait pas le meilleur éclairage sur ce qu’il va se passer ? C’est de toute évidence une aide, mais ce n’est pas interdit.
Aujourd’hui, certains bateaux sont équipés de connections internet haut débit par satellite (Starlink, par exemple). Théoriquement il est donc possible et autorisé, depuis le bord, de se connecter aux vacations hebdomadaires organisées par des météorologues pendant le Vendée Globe pour avoir leur éclairage sur la météo puisqu’elles sont accessibles à tous (exemple : l’Oeil du Vendée, animé par Yoann Richomme). Yoann faisait même des routages très précis, en direct, pour expliquer les différentes options stratégiques qui s’offraient aux skippers. Aucune règle n’empêchait quiconque de retranscrire ces éléments par écrit et de les transmettre à un skipper engagé sur le Vendée Globe.
Pourquoi cette attaque est très injuste
Ce vide juridique existe depuis plusieurs années et les exemples de dérapages (volontaires ou involontaires) sont légion. Car quand la règle n’est pas précise, on l’oublie, et surtout il devient impossible de l’appliquer et de pénaliser qui que ce soit.
C’était bien inutile d’aller fouiller dans 3 mois d’historique de conversation privée d’un couple pour trouver des éléments qui posent question. Plus simplement, en novembre dernier, dans un article de Ouest France, Jean le Cam expliquait que pendant le Retour à la Base (course qualificative au prochain Vendée Globe) il avait reçu, pendant qu’il était en course, le résultat d’un routage fait par Jacques Caraes (ancien directeur de course de la Route du Rhum et du Vendée Globe). Il confie même au journaliste que ce routage lui a fait changer d’avis sur la route à suivre, sans même se rendre compte que cela posait un problème déontologique. Est-ce qu’un déchaînement médiatique s’est abattu sur Jean, qui pourtant est l’un des skippers les plus médiatisés ? Est ce que la FFVoile a diligenté une enquête à ce sujet ? C’est vous dire si la tolérance qu’il existe autour de la règle, ou si parfois on a, pour 2 poids, 2 mesures.
Précision apportée le 17/02 : En lisant l’article cité plus haut j’ai d’abord compris que Jean avait reçu un routage à bord. En fait, Jean a uniquement reçu le résultat d’un routage fait à terre. C’est un peu moins pire, mais cela montre bien qu’on navigue souvent dans la zone grise.
En 30 ans, jamais l’organisation du Vendée Globe n’a décidé de passer au crible l’historique des communications d’un concurrent pendant son tour du monde, pas même celui des vainqueurs de cette course prestigieuse et tant disputée.
Pourquoi donc le faire spécifiquement pour Clarisse, qui a terminé 12e de la dernière édition et surtout, 3 ans après les faits ?
Où est l’équité et l’espoir d’une justice équitable maintenant que tous les autres skippers ont pu soigneusement détruire toute preuve les accablant ?
Plus largement, que vaut une dénonciation anonyme constituée d'une poignée d’extraits sortis de leur contexte dans une conversation longue de 3 mois, obtenue illégalement ?
L’identité de la personne en question n’a pas encore été révélée, mais, le jour où l’anonymat sera levé, à mon humble avis on ne sera pas déçus. Il s’agit forcément de quelqu’un de malhonnête, malintentionné et qui n’a visiblement plus rien à perdre (ni à faire) dans le milieu de la voile.
Et maintenant on fait quoi ?
Comme souvent dans d’autres situations, personne n’ose parler tout haut de ce que tout le monde pense tout bas, de peur de tomber avec les premiers accusés.
En fait, ces dernières années, personne n’a joué son rôle (jury, concurrents, organisateurs) sur l’écriture des règles et de leur mise en application, pas plus que ces derniers jours (à commencer par les media qui sont beaucoup à avoir lynché Clarisse et Tanguy sur la base d’un mail anonyme).
Les soupçons de triche doivent cependant être adressés, bien évidemment. Il faut désormais laisser à la FFVoile et à l’organisation du Vendée Globe le temps nécessaire à l’analyse scrupuleuse des communications du bateau de Clarisse (disponibles d’ailleurs depuis 3 ans).
Vous aurez compris qu’au vu de la façon dont sont écrites les règles, ils peuvent décider de ce que bon leur semble. J’espère avoir bien expliqué qu’il serait très injuste de condamner à vie les carrières de Clarisse et Tanguy pour des faits qui, s’ils étaient avérés, sont aussi largement répandus dans le milieu de la voile et depuis si longtemps. Cela ferait d’eux les bouc émissaires d’un système décidément très hypocrite.
Si la façon dont le sujet a été mis sur la table est odieuse, malheureusement pour Clarisse et Tanguy, c’est en fait une bonne chose, sur le fond. Sans plus attendre, il faut que la FFVoile clarifie les règles et la façon dont elles seront appliquées à l’arrivée des courses, quitte à les changer si nécessaire. J’espère qu’on arrivera à adresser le fond du sujet plutôt que de se livrer des attaques qui ne grandissent personne et salissent inutilement notre sport. On mérite tous mieux que ça !
S’il ne fallait lire qu’un seul article de presse sur ce sujet je vous conseille celui de Ouest France paru aujourd’hui, l’un des quelques uns à prendre un peu de recul sur ce sujet, comme j’ai essayé de le faire ici.
Voilà, j’en ai fini, désolé pour cet épisode un peu tristoune. Je ne suis pas un grand adepte des prises de parole mais c’était important pour moi de le faire sur ce sujet !
Le retour des aventures du bateau Café Joyeux est prévu à la fin du mois 💛
Excellent weekend à tous,
Nico
Les skippers ont le droit de faire appel à leurs équipes et fournisseurs pour trouver des solutions aux problèmes techniques rencontrés à bord (réparer un alternateur qui ne démarre plus, déchiffrer les messages d’erreur informatiques, comment réparer une voile, une voie d’eau, etc). Certains types d’assistance, qui sont une aide à la performance, sont donc autorisés explicitement.
Merci Nicolas d’avoir publié ton avis très clair et de ne pas hurler avec les loups qui ne sont pas de mer !
Très bonne analyse, merci Nico . C’était indispensable de le faire .Comme tu dis les loups ont trop vite fait de hurler sans savoir vraiment pourquoi. Laissons maintenant les experts faire leur travail. Enfin le corbeau qui est derrière cette dénonciation à deux balles ferait bien de se regarder dans un miroir…Il s’apercevra qu’il n’est vraiment pas beau .