Route du Café : de la joie, de la joie et surtout de la joie !
Que c'est bon d'être allé au bout de cette aventure !
C’est l’heure du débrief, et je commence par vous présenter mes excuses pour le petit délai avec lequel vous lisez ces lignes. Cela fait bien 10 jours que Léo et moi avons touché terre. Mais tous ceux, parmi vous, que j’ai eus au téléphone m’ont dit sans exception de profiter et de prendre le temps de me RE-PO-SER. Alors j’ai choisi la solution de facilité, celle de vous écouter. Bref, c’est donc surtout de votre faute !
La JOIE d’être allés au bout de l’aventure
1 océan, 4 jours de réparations “mode commando” et 17 jours de régate acharnée séparent ces 2 photos. S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir, c’est qu’on est hyper HEUREUX d’être allés au bout de cette aventure qui n’était pas gagnée d’avance. Et ça se voit sur nos sourires…
Rappelons que 15 minutes après le départ au Havre on avait un gros trou dans le bateau et 12h de pénalité, par notre faute. Là où beaucoup d’autres auraient pu baisser les bras, on a su rebondir mentalement, réparer le bateau et repartir le couteau entre les dents. On ne termine pas sur le podium, pas cette fois, mais on est quand même fiers du chemin parcouru.
Cela ne se voit ni au classement général (du fait de notre pénalité) ni au classement d’étape (je vous explique pourquoi ci-dessous) mais on a fait une superbe course, vraiment ! C’est donc avant tout la joie qui prime, celle d’avoir rendu fières les équipes de Café Joyeux, les partenaires du projet, vous, et toutes celles et ceux qui suivent nos aventures !
Un début de course très très TRES sauvage
Comme chaque transatlantique vers les Antilles : le soleil, les vents portants, les vagues à surfer, tout cela, ça se mérite !
Tout le début de course jusqu’au Portugal s’est fait au près, contre les vagues et contre le vent. Et on n’a pas été épargnés, tout cela a été d’une violence assez inouïe (alors que déjà, on avait eu une bonne dose sur la première étape vers Lorient !).
Nous avons dû faire face à des vents très irréguliers pendant tout le golfe de Gascogne. A un moment, le vent est passé de 15nds à 30nds en seulement quelques minutes. On s’est retrouvés avec Léo vent de travers, avec toutes voiles dehors à faire des pointes à presque 20nds. Comme le vent a beaucoup oscillé en direction, le vent et la mer n’étaient pas dans le même sens, ce qui est terrible quand le bateau va vite. A pleine vitesse face aux vagues, notre sport relève parfois du saute-mouton !
Les conditions se sont un peu plus rangées au voisinage de l’Espagne, que nous atteignons en 7e position. Après un contournement au près, contre le vent, nous pouvons enfin mettre le cap au Sud.
S’engage alors une deuxième session de rodéo : le vent tourne et nous permet d’accélérer, mais les vagues, elles, aiment moins les changements, et nous faisons de nouveau route au vent de travers, très vite, face à la mer. Et c’est de nouveau très éprouvant pour le bateau… et l’équipage. Oui car, à ce moment-là, je suis malade presque en continu depuis le départ ! Et à part un plat chaud avalé dans l’accalmie avant l’Espagne, je n’ai rien mangé depuis le départ, 2 jours et demie plus tôt.
A ce stade de la course, notre bateau n’a “presque” rien : uniquement une soudure du support du rail de GV cassée et une légère fissure qui est apparue à la jonction cloison de cockpit / pont. A chaque vague, cette petite fissure faisait un peu de bruit, comme le crépitement d’une bûche qui se consume peu à peu dans la cheminée du salon. Heureusement, selon Léo, “plus de bruit que de mal” (et attention, il porte à lui seul l’expertise en composite à bord, donc son avis compte). Je me suis rangé à son avis et on a fini par s’habituer au doux bruit de notre nouvelle cheminée.
Comme disait Talleyrand : “Quand je m'examine, je m'inquiète. Quand je me compare, je me rassure.” Et au jeu de la comparaison, on a eu beaucoup moins de problèmes que les autres ! Nous étions bord à bord avec Legallais, bateau identique au nôtre, qui a cassé la structure intérieure du bateau dans les chocs avec les vagues. Ils se sont donc arrêtés à Cascais (où d’ailleurs il y a un Café Joyeux, NDR) pour réparer. Inter Invest ont aussi eu des soucis de structure, qu’ils ont pu réparer avec les moyens du bord. Alors bravo à Léo, qui gère toute la préparation du bateau depuis le début d’année. Si on est sortis presque indemnes, c’est avant tout grâce à son travail !
Aux Canaries, le pire des conditions est derrière nous. Nous sommes alors solides 4e, à portée de radar AIS (10 km) des 3 premiers et avec presque 100 milles d’avance le 7e. On peut dire qu’on était contents de la partition qu’on avait jouée jusque-là !
Dilemme sur l’Atlantique
Les 3 jours après les Canaries ont été les plus durs stratégiquement. Les prévisions météo disponibles au départ et les stratégies qui en découlent s’arrêtaient vers Madère donc on ne pouvait plus appliquer une stratégie élaborée avant le départ : il fallait se renouveler !
En raison de dépressions circulant dans le Nord de l’Atlantique pendant notre course, les Alizés (ces vents portants vers l’Ouest qui soufflent au Sud de l’Anticyclone des Açores) “toussaient” un petit peu car les dépressions successives affaiblissaient l’Anticyclone des Açores, maître du jeu de toute traversée de l’Atlantique qui se respecte.
Cela a eu pour conséquence de nous fermer une route “normale”, au portant, juste dans le sud de l’Anticyclone. Au lieu de ça, il y avait 2 familles de route radicalement différentes pour rejoindre la Martinique. Il fallait soit plonger au Sud pour nous éloigner des dépressions de l’Atlantique Nord et nous assurer de naviguer dans des vents portants suffisamment forts au plus profond des Alizés, soit à l’inverse, couper au Nord et jouer avec les dépressions circulant au-dessus de l’Anticyclone. Une route plus compliquée, en partie contre le vent et bien plus incertaine. MAIS, et ce n’est pas un petit “mais” les routages donnaient bel et bien les routes Nord gagnantes, en moyenne.
“Euuh mais pourquoi vous n’y êtes pas allés alors ?” vous demandez vous… Excellente question !
En fait ces routes demandaient un investissement énorme pendant 5 à 7 jours, et ne passaient “devant” les routes sud que très tard, dans les 2 derniers jours avant l’arrivée. La fin de course dépendait de la trajectoire d’une dépression tropicale qui n’était même pas encore formée au moment de la prise de décision. Donc oui, la théorie voulait que ça passe au Nord, mais avec un niveau de risque élevé car les prévisions à 7 -9 jours sont très incertaines et relèvent parfois de la poésie. Bref, on pouvait très bien se hisser dans les 3 premiers comme se faire doubler par 20 bateaux.
On était 4e lors de la prise de décision. Il était donc urgent de ne pas se prononcer tout de suite ! On a repoussé au maximum la décision en se fixant quotidiennement un waypoint neutre baptisé “Carrefour” pour le lendemain - waypoint qui nous permettait ensuite d’embrayer sur l’une ou l’autre des options sans trop perdre de terrain. Cela a marché 3 jours, mais au 4e jour il fallut choisir. Et notre décision avec Léo a été d’assurer le coup en choisissant l’option la plus conservatrice, au Sud, tout comme Pirelli et IBSA. La veille de notre prise de décision, SNEF, troisième, a brusquement plongé au Nord et à vrai dire, on a pensé qu’ils avaient déchiré un spi et que donc les routes majoritairement au portant ne les intéressaient plus.
Notre décision d’aller au Sud n’est donc pas une erreur de raisonnement, mais plutôt une gestion (conservatrice) du risque. Rétrospectivement, au vu de notre pénalité au classement général, on aurait peut-être dû aller au Nord, mais c’est trop facile de penser cela une fois que la bataille est finie !
A l’inverse, 3 bateaux qui étaient franchement derrière nous ont “misé” sur l’option Nord pour refaire : Crédit Mutuel, Amarris et Influence 2. Leur décision est logique : si on avait rien eu à perdre on aurait probablement fait comme eux !
Notre point faible reste … faible
En bateau, c’est bien de choisir la bonne route, mais il faut ensuite aller vite. Et c’est parfois ça le plus difficile !
Aux Canaries, on savait globalement qu’on avait mangé notre pain blanc. La suite de la Route du Café allait se faire au portant dans 15-20nds, soit pile les (seules!) conditions où notre bateau est plus compliqué à faire avancer que les autres - notre point faible identifié cette année.
Et ça n’a pas manqué ! Progressivement et malgré nos efforts, on n’a pas réussi à rester au contact de Pirelli et IBSA. Et lentement mais sûrement, on s’est fait rattraper par le peloton de bateaux derrière nous. Déjà parce que nous avons buté dans moins de vent qu’eux (nos poursuivants ont aussi réduit l’écart avec Pirelli et IBSA), ensuite parce qu’on a fait des erreurs de trajectoire en tirant les mauvais bords au mauvais moment dans la journée, et ensuite parce que franchement, on a eu du mal à trouver les bons compromis cap/vitesse !
Parmi nos poursuivants directs, en plus de très bien naviguer, deux sont spécialement à l’aise dans ces conditions (Tequila et Everial). Ils nous ont doublé sans aucune difficulté, ce qui a bien plombé le moral du bord pendant 2 jours. Mais on a su se ressaisir et revoir notre façon de naviguer. Malgré leurs assauts, aucun autre bateau ne nous a doublés. Nous avons donc su protéger notre place de 5e dans l’option Sud derrière Pirelli, IBSA, Tequila et Everial - SNEF étant parti au Nord.
OK 5e c’est moins bien que 4e, mais on était déjà hyper contents d’être là où on était !
Un finish sous haute tension
Rarement une Transat Jacques Vabre n’a été aussi passionnante stratégiquement et offert un dénouement avec autant de suspense. A 2 jours de l’arrivée, personne ne savait comment cela allait se finir ! Le groupe du Nord, fidèlement aux prédictions, commençait à récupérer le fruit de leur investissement, mais la trajectoire de la dépression thermique les a obligé à faire plus de route que prévu. Ils arrivaient donc par le Nord vers les Antilles. SNEF, lui, a refusé de se faire embarquer dans ce grand tour et a préféré couper vers l’arrivée, ce qui a ouvert une troisième option intermédiaire et une arrivée par l’Ouest. Quant à notre groupe, on a dû rester au Sud jusqu’au bout. Bref, tout le monde arrivait par un chemin différent !
C’est finalement Pirelli qui passe la ligne en premier - signe que l’option sud n’était pas à enterrer. Puis le peloton du Nord, puis SNEF, puis nous. La morale de l’histoire : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision, le plus important c’est de croire en ses choix, et de se donner à fond ! Désolé c’est un peu “bateau”, mais c’est ce que je pense vraiment.
Au sein même de chaque peloton il y eu de la bagarre. Nous avons navigué les 3 derniers jours à vue avec Interinvest. A vue, c’est à dire qu’on voyait en permanence le blanc de leur spi (à défaut du blanc de leurs yeux). Au début c’est chouette de naviguer au contact. Cela permet déjà de discuter (on s’appelait chaque jour pour prendre des nouvelles) et c’est aussi assez enrichissant car cela permet aussi de voir tout de suite ce qui marche et ce qui ne marche pas au niveau des réglages. Mais au bout de 3 jours cela devient pesant. A la fin on avait surtout envie que ça s’arrête, et qu’ils restent derrière ! Quand nous passons la ligne ils sont environ 300 mètres derrière nous. On a eu chaud, mais on a tenu bon ! Et nous avons tenu notre promesse faite à la radio quelques jours plus tôt : nous avons pu leur servir une bière fraîche à leur arrivée :)
Si vous avez bien tout compté vous aurez compris qu’on termine 9e de cette étape. Alors oui, c’est génial (35 bateaux voudraient bien prendre notre place !), mais comme on a plutôt été entre 3e et 5e toute la course, dans la joie d’être allés au bout, il y a une part de nous qui sait qu’on aurait pu encore mieux faire. Et c’est bien normal, ça veut dire qu’on est compétiteurs, c’est la base de notre métier !
Quant au classement général, je dois vous avouer que je ne sais même pas combien on fait (véridique! et je crois que c’est la première course où cela m’arrive) - c’est vous dire le chemin parcouru mentalement depuis le départ du Havre !
Quelques messages de service (si vous avez encore le temps, car l’essentiel est dit)
1️⃣ Bravo Victoire !
Au terme de 3 ans de projet, ma Victoire, alias @minimic__ sur les réseaux, a bouclé sa Mini Transat (rappel : traversée de l’Atlantique en solitaire, en autonomie complète sans aucun moyen de communication avec la Terre, sur des “minis” bateaux de seulement 6.50m).
Chacun débriefe de sa propre transatlantique, mais sans spoiler je peux vous dire qu’elle a trouvé ça très difficile, qu’elle est très fière de ce qu’elle a accompli (je lui dis tous les jours, mais moi aussi je suis très fier d’elle), que pour rien au monde elle n’en ferait son métier et qu’elle ne comprend pas ceux qui y retournent en connaissance de cause. Il faut donc de tout pour faire un monde, et un couple (solide) aussi.
S’il fallait avoir un seul regret sur cette Route du Café, ce serait celui de n’avoir pu être là à son arrivée !
2️⃣ Deux solutions pour ceux qui sont en manque de cartographie
Mon fidèle destrier, Yelcho de son nom intime, est en route vers la métropole1 , mené par François Jambou (nul autre que le vainqueur de la Mini 2019), Victor Mathieu (finisher de la Mini de cette année) et Julie Briand (qui lâche son couteau et ses aiguilles de gréeuse pour traverser l’Atlantique pour la première fois).
Vous pouvez suivre leur progression ICI. Afin de préserver la qualité de mon sommeil, j’ai volontairement paramétré la balise pour n’avoir qu’un pointage toutes les 4h. Aux dernières nouvelles, tout allait bien à bord.
Le départ du Retour à la Base a été donné la semaine dernière. Si vous êtes perdus et ne savez pas qui soutenir, je vous glisse 2 idées.
La première, c’est évidemment Jimmy à la barre de l’Occitane (accompagné de Clarisse). Après une 4e Mini Transat (avec Victoire) dans les oreilles cette année, il est rôdé, il pourrait bien faire quelque chose sur cette course !
Si vous êtes plutôt du genre à soutenir le Petit Poucet, orientez alors vos encouragements plutôt vers Tanguy le Turquais (Lazare, nos coéquipiers de l’inclusion!) . Dernier IMOCA à arriver à Fort de France (suite, lui aussi, à un trou dans sa coque et une escale forcée de 5 jours à Lorient), il est arrivé le lendemain du départ du Retour à la Base. Il a posé pied à terre 9h (le temps de procéder à quelques réparations) et est reparti aussitôt vers Lorient, 1 jour après tout le monde. Niveau résilience, de sa part et de son équipe technique, on est pas mal !
3️⃣ Merci la Martinique 🥥🐢
Ma deuxième passion culinaire (après les Pom’Potes) est la noix de coco. J’avais 2 cases à cocher en Martinique : boire une eau de coco directement depuis une noix de coco (un plaisir qui, chez moi, surpasse tous les autres) et voir une tortue.
L’année dernière, à l’arrivée de la Route du Rhum, j’avais failli avoir un accident de voiture en freinant un peu trop brusquement sur une route de Guadeloupe pour m’arrêter à un stand qui vendait des noix de coco sur le bas-côté. Vous imaginez donc bien (ou pas) quel a été mon plaisir lorsqu’on m’a tendu, dès mon arrivée au ponton, une noix de coco toute fraîche, rien que pour moi ! Heureusement, Léo a eu aussi droit à la sienne et il n’y a pas eu besoin de partager.
Le fait de cocher l’une des 2 cases d’emblée, à peine arrivé au ponton, a causé du relâchement par la suite. Je suis rentré en métropole hier sans avoir pu apercevoir de tortue. Si vous êtes là à ma prochaine arrivée aux Antilles, vous savez maintenant quoi apporter ! N’oubliez pas quand même le Ti punch (merci M. Marre) parce que cela fait toujours plaisir quand même.
Si on en est à parler noix de coco c’est qu’il est temps de rendre l’antenne.
J’ai pleins de choses à vous dire sur l’année prochaine qui s’annonce très excitante et qui se prépare dès maintenant, mais ça sera pour un autre épisode de la newsletter !
Merci d’avoir lu jusqu’ici, je vous souhaite un très bon mois de décembre. Si vous aimez Noël ET faire des cadeaux qui ont du sens, pensez aux coffrets Café Joyeux pour vos proches🎄
A bientôt !
Nico
Les aventures du bateau Café Joyeux sont rendues possibles grâce au soutien de nos mécènes, notamment Accor et Fibus. Un grand merci à eux de nous soutenir et de faire valoir les belles valeurs de l'inclusion.
Nous cherchons un troisième mécène de premier plan pour compléter l'équipage : entrez en contact et aidez nous à le rencontrer !
On évite de dire “France” car techniquement il était déjà en France